(SCL1) Les « x-topies » : avenirs possibles, avenues sociologiques ?

Wednesday Jun 19 1:30 pm to 3:00 pm (Eastern Daylight Time)
En line via la SCS

Session Code: SCL1
Session Format: Présentations
Session Language: Anglais, français
Research Cluster Affiliation: Sociology of Culture, Sociology of Knowledge
Session Categories: Bilingue, En ligne - SCS

La sociologie a toujours tenté d’établir un espace d’ordre, un ensemble de lieux communs ou un cadre de l’expérience qui se présentent comme la référence acceptable, courante, statistiquement moyenne, normale, voire idéale à laquelle on doit se rapporter pour établir ce qu’on entend par la « vie sociale ordinaire ». L’établissement des contours du « même », que l’on pourrait qualifier d’« homotopiques », entraine selon les différentes perspectives sociologiques une série de débats pour définir les hétérotopies, les dystopies, les utopies, etc., qui tentent de cerner les différences, les dysfonctionnements, l’exemplarité, les pathologies, etc. Comment actualiser ces débats dans le cadre de l’étude de la socialité (ou des socialités) contemporaine(s) ? Pour ce faire, la présente session invite ses participants·es à examiner comment les concepts d’« x-topies » interagissent et reflètent les réalités sociales et politiques, tout en envisageant des futurs possibles. Ils et elles pourront notamment s’appuyer sur des œuvres de fiction afin d’analyser les idées utopiques et dystopiques qui émergent de la pensée sociologique et de la culture populaire tout en examinant les espaces hétérotopiques qui remettent en question les normes établies. Il s’agira aussi d’étudier comment ces concepts interagissent avec les espaces sociaux réels ou imaginaires et façonnent notre compréhension du monde, de la culture et de l’imaginaire collectif, mais également la façon dont ces concepts se trouvent à même de nourrir l’imagination et la connaissance sociologiques.En mobilisant divers cadres théoriques ou recourant à des études empiriques, les participants·es à cette session thématique pourront ainsi s’interroger sur ce qui peut être aujourd’hui homotopique, dystopique, utopique ou hétérotopique en matière de socialité, de travail, de contrôle social, de souffrance, de sexualité, d’amour, de discrimination, de technologies, d’environnement, de science ou de connaissance, etc. Tags: Connaissances, Culture, Théorie

Organizers: Charles Berthelet, École des hautes études en sciences sociales / Université du Québec à Montréal, Élisabeth Abergel, Université du Québec à Montréal, Marcelo Otero, Université du Québec à Montréal; Chairs: Charles Berthelet, École des hautes études en sciences sociales / Université du Québec à Montréal, Élisabeth Abergel, Université du Québec à Montréal; Discussant: Élisabeth Abergel, Université du Québec à Montréal

Presentations

Nicholas Hardy, University of Alberta

La pensée par la pratique : interférer pour interroger les espaces urbains « x-topiques »

Nous proposons de réfléchir à la problématique de cette session en posant la question suivante comme point de départ: en quoi la recherche parmi les espaces sociaux « x-topiques » mène-t-elle au développement de nouvelles approches et de nouvelles manières de concevoir la socialité? À notre sens, ces nouvelles approches se situent par définition en écart aux normes de la sociologie. De cette optique, comment élaborer de nouvelles pratiques sociologiques à même d’interroger les diverses « x-topies » parmi les espaces sociaux sans que leur valeur ne soit mesurée selon les critères d’une sociologie qui tendent à délégitimer ces projets et à discipliner la pratique sociologique? Dans le contexte de la recherche doctorale, les difficultés posées par ces critères normatifs sont d’autant plus hasardeuses car elles risquent à la fois de dénaturer l’expression de la recherche (dans la mesure où elle est forcément en rupture avec les normes de la discipline) ou alors de miner la crédibilité de l’étudiant. Toutefois, il convient de remarquer que cette situation est contradictoire car elle mène la sociologie à effacer des pans entiers de son histoire intellectuelle (nous pouvons citer des auteurs aussi variés que Lefebvre, Debord, Castoriadis, ainsi que Reich, Bey et autres insoumis.es). Elle est aussi nuisible sur le plan épistémologique : le savoir étant un espace global de communication (Serres, 1968, 1972), afin de développer de la connaissance (plutôt que de l’information), la sociologie se doit de sortir de cette boucle intra-référentielle afin de soutenir un engagement réel avec le savoir, la société et le monde qui exigent, pour leur part, un recours à de multiples références, soit à une pratique hors-cadres. Nous proposons d’avancer le concept d’interférence (voir Serres 1972, 1980) comme pivot de notre approche envers l’activité théorique que nous nommons « la pensée par la pratique », afin de penser parmi les friches urbaines, que nous pourrions appeler « para-sites » ou « para-topies » étant donné leur rapport de tension vis-à-vis la production capitaliste de l’espace. Tel que le terme l’indique, les terrains vagues et autres espaces interstitiels sont des espaces intersubjectifs parallèles, c’est donc dire des espaces parallèles de socialité. La notion d’interférence définit des pratiques esthétiques d’intervention (dont l’art de rue) parmi ces para-sites comme partie intégrante de la production d’un savoir en accord avec le caractère in vivo de la vie sociale, certes plus attentif à l’émergence des singularités et des possibles parmi ces espaces. Dans le contexte actuel des milieux urbains (qui s’apparentent davantage aux villes dystopiques décrites par Alain Damasio dans Les furtifs ), il nous semble que la socialité est elle-même marginalisée, de sorte que les pratiques d’interférences sont de mise afin d’interroger les espaces interstitiels qui sont, selon nous, des refuges de la socialité (voir aussi Clément 2004). Ces pratiques soulèvent également la question méthodologique de la participation, à savoir : que signifie participer parmi ces espaces interstitiels? En somme, peut-on concevoir l’interstice ou la marge comme espace intellectuel, ouvert aux pratiques créatives, soit d’une « discipline de la désobéissance » selon l’expression heureuse de Graham (1978), afin de contribuer au développement de nouvelles pratiques sociologiques?

Charles Berthelet, École des hautes études en sciences sociales / Université du Québec à Montréal

Une étrange diversité : l'ambiguïté des représentations diversitaires dans les séries télévisuelles étatsuniennes et la frontière poreuse entre utopie, homotopie et dystopie

Depuis le 20e siècle, les théories portant sur l’utopie et son statut tant épistémique ou esthétique qu’éthico-politique ont souligné et cherchent encore à penser son caractère paradoxal en relevant ses affinités ou sa porosité avec des notions qui en paraissaient en premier lieu antithétiques ou opposées : la dystopie, bien entendu, sans doute le mieux exemplifiée par les cauchemars totalitaires du même siècle, ainsi que l’homotopie, telle que reproduite sur le plan des représentations effectives et pratiques de la réalité sociale par le biais toujours présent de l’idéologie. Afin de surmonter le caractère au moins paradoxal, sinon aporétique de la pensée utopique ou des aspects utopiques présents en toute pensée sociale porteuse d’aspiration à l’égalité ou d’émancipation, le sociologue étatsunien Jeffrey Alexander (2001a) a ainsi fait la proposition d’une vision ou version partielle autant que plurielle de l’utopie permettant selon lui d’en éviter à la fois les élans totalisants comme les écueils totalitaires. Or, une telle lecture de l’utopie, tournée vers l’émergence d’une multitude de mouvements sociaux remplaçant les grandes idéologies politiques du 20e siècle, s’inscrit au sein d’une sociologie culturelle (Alexander, 2003) beaucoup plus vaste et, notamment, d’une théorie de la sphère civile (Alexander, 2006) qui ne manque pas elle-même d’éléments utopiques tant dans ses propres visées normatives reconnues que par son contenu théorique explicite, comme en atteste la théorisation de ce qu’Alexander appelle les « modes d’incorporation » à la sphère civile (Alexander, 2001b) – ce qui amène donc d’emblée à poser la question de l’utopie telle que rapportée dans l’analyse sociologique et qu’inscrite au sein même de la théorie sociologique. Cette communication entend prendre au sérieux un tel rapport coconstitutif, voire consubstantiel, entre utopie et dystopie d’une part, de même qu’entre ces dernières et l’idéologie de l’autre, afin d’analyser, à l’aune de la théorisation des modes d’incorporation à la sphère civile et des codes binaires qui informent les structures symboliques du discours de la société civile américaine selon Alexander (2003), certains épisodes des séries télévisuelles étatsuniennes Flash (2014), Supergirl (2015) et iZombie (2015) et de relever le caractère pour le moins ambigu ou paradoxal des représentations de la diversité sociale qui y sont proposées. Il s’agira donc d’observer la façon dont ces représentations font montre d’inscrire la diversité sociale du côté « civil » de telles oppositions binaires tout en l’associant curieusement à différents éléments versant pourtant du côté « non civil ». Si la diversité y est ouvertement présentée sous un jour utopique, celle-ci prend ironiquement des traits fortement dystopiques en sorte que le message sociopolitique d’inclusivité et d’émancipation que semblent endosser les auteurs et producteurs de ces séries se trouve étrangement renversé ou contesté dans l’économie symbolique même qu’elles contribuent à mettre en place et entretiennent d’un épisode à l’autre. Si la culture populaire a certainement un rôle central à jouer pour aider à surmonter les expressions de la haine au sein des sociétés humaines complexes ainsi que dans la construction d’avenirs communs et hospitaliers de cette diversité qui leur est caractéristique, il importe tout autant de poursuivre l’analyse critique des images et des messages véhiculées au sein d’une telle production culturelle afin non seulement de rapprocher le présent d’utopies ou d’uchronies « réelles », qu’elles soient partielles ou provisoires, mais surtout d’en prévoir les effets esthétiques et rhétoriques potentiellement contradictoires ou polarisants en ce qu’ils sont susceptibles de saper les fondements comme le projet même de ces avenirs communs.