L’ingénierie de la biologie » pour sauver la planète ? : une analyse des représentations du vivant portées par l’imaginaire sociotechnique de la biologie de synthèse


Éloïse M Tanguay, Université de Montréal

Domaine technoscientifique en pleine expansion, la biologie de synthèse a comme objectif de fabriquer des entités biologiques détenant une application commerciale. En plus de ses visées économiques, les promoteurs de la biologie de synthèse la présentent sous l’étiquette du « développement durable » en annonçant qu’elle constitue une solution aux enjeux engendrés par la crise écologique. Ce type de promesse semble s’inscrire en porte-à-faux avec le discours ambiant relatif aux changements climatiques. Ce dernier insiste plutôt sur les effets néfastes des activités industrielles sur l’ensemble du vivant et appelle à une transformation radicale des modes de production et de consommation contemporains. Redoublant d’efforts pour esquiver la remise en cause du mode de développement industriel, la biologie de synthèse promet aux sociétés contemporaines un mode de développement durable fondé sur la manipulation du vivant (Flocco et Guyonvarch, 2020). Si certains travaux mettent en relief cette tendance générale, le rapport au vivant qu’elle sous-tend est relativement peu exploré. Celui-ci correspond aux manières dont est imaginé et décrit le vivant dans les discours de la biologie de synthèse. Entre dégradation, protection, modification et exploitation, ce rapport est rendu pour le moins complexe par les développements biotechnologiques. Pour éclairer ce rapport, cet article traite des représentations du vivant portées par l’imaginaire sociotechnique de la biologie de synthèse. Partant de la notion de coproduction entre les technosciences et la société, la sociologue Sheila Jasanoff a développé le cadre d’analyse des « imaginaires sociotechniques ». Ceux-ci, partagés collectivement, portent et propagent certaines visions d’un « futur désirable » (Jasanoff, 2015 : 4) atteignable par des développements technoscientifiques (Jasanoff, 2015.) Fondés sur certaines manières de comprendre le monde, ils sont dépendants d’un contexte social, c’est-à-dire des représentations, des valeurs, des idées, des normes, etc. qui y circulent. C’est à partir de ce contexte que se forment les visions de ce que lavenir devrait être. Il influe alors sur la trajectoire à adopter collectivement pour mettre en œuvre ces visions. Pour approcher l’imaginaire sociotechnique des promesses écologiques de la biologie de synthèse, j’adopte l’angle des métaphores du vivant qu’il sous-tend. Selon la linguistique cognitive de George Lakoff et Mark Johnson, les métaphores permettent de rapporter des concepts abstraits à des expériences plus proches de notre vécu (Lakoff et Johnson, [1980] 2003). Laissant les rôles théorique et heuristique des métaphores de côté, l’objectif est de se pencher sur leur dimension communicative qui en font un phénomène social (Hellsten, 2002). Plus précisément, je me pencherai sur les métaphores qui, à travers leur stabilisation et leur diffusion, participent à la construction de l’imaginaire sociotechnique de la biologie de synthèse. Il s’agit d’abord, avec un retour sociohistorique, d’identifier quelles métaphores ont été au cœur du modèle bioéconomique, c’est-à-dire le cadre politique et économique dans lequel s’inscrit la biologie de synthèse. Cela me permet de montrer que ce domaine, depuis son émergence, s’appuie et reconduit les métaphores machinique et informationnelle du vivant. Je procède ensuite à une analyse des discours médiatiques et publicitaires relatifs aux promesses écologiques de la biologie de synthèse. Au total, 134 articles provenant de magazines de vulgarisation scientifique, d’information économique et de médias généralistes ont été soumis à l’analyse. De plus, l’ensemble du contenu des sites Web de quatre entreprises de biologie de synthèse ont été analysé. Cette analyse discursive montre que les représentations machiniques et informationnelles de la biologie sont au cœur des promesses écologiques de la biologie de synthèse. Plus encore, cette analyse montre que la volonté de mettre les processus biologiques en ressource se décline elle-même en deux tendances. D’une part, le vivant est posé dans les termes d’une matière première inerte et malléable. D’autre part, il est représenté comme une entité active qui peut être mise au travail. L’imaginaire de la biologie de synthèse relève donc d’une radicalisation de la volonté d’englober les processus biologiques dans la production industrielle. Les promesses écologiques de ce domaine apparaissent subordonnées à cette visée. À l’heure des défis posés par la crise écologique, cette recherche participe à identifier et comprendre les implications du discours technoscientifique dans l’imaginaire des sociétés contemporaines. Plus particulièrement, elle met en lumière le primat des intérêts économiques dans les promesses écologiques provenant d’un domaine biotechnologique, soit la biologie de synthèse.

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